
En tant que directeur financier de l’Hôpital de la Tour, Pierre-Antoine Binard apporte à ce poste ses 25 années d’expérience de direction financière, dont 8 dans le secteur de la santé. Responsable des fonctions financières traditionnelles ainsi que de la gestion des partenariats avec les assurances et de la facturation, il observe au quotidien l’impact croissant de la complexité administrative sur les ressources hospitalières.
En tant que CFO de l’hôpital quelle importance le codage a-t-il dans votre secteur administratif?
Le codage est le cœur battant de notre chaîne administrative. Pour le stationnaire, c’est littéralement le réacteur nucléaire de la facturation. Chez nous, le stationnaire représente environ 50% du chiffre d’affaires, pour quelque 9000 cas, ce qui donne une idée de la volumétrie et de l’enjeu. C’est de lui que va dépendre la reconnaissance de la complexité du cas et la justesse de sa facturation.
L’hôpital de la Tour a fait le choix de garder son codage en interne. Quels sont les avantages et les difficultés que cela représente?
Garder le codage en interne est un choix stratégique. C’est essentiel pour la facturation, le lien quotidien avec les médecins et le calcul de leurs honoraires. Cela sécurise les dossiers, limite les malentendus et réduit les rejets. Mais ce choix a un prix, les codeurs sont rares et très recherchés, leur formation est longue et coûteuse, et les compétences doivent être régulièrement mises à jour car la médecine évolue vite. Nos équipes sont calibrées pour une volumétrie précise, et c’est un vrai défi, un départ ou un congé pèse immédiatement sur la productivité, d’autant que les réformes tarifaires en cours (Tardoc, forfaits ambulatoires, nouveaux modes de facturation) augmentent encore la charge. Dans cet environnement, chaque ressource compte, et l’équilibre reste fragile.
Comment se passe la communication avec les médecins sur ces questions de codification?
La communication avec les médecins n’est pas toujours simple. On s’adresse à des spécialistes très pointus, qui n’ont pas forcément envie d’être challengés sur un rapport opératoire ou un rapport de sortie. C’est pourquoi il faut que la discussion se fasse sur un niveau scientifique, avec une terminologie qui leur parle. Ce n’est pas toujours confortable, mais l’intérêt est partagé : un cas parfaitement codé profite à l’institution et au médecin.
Comment vivez-vous cette intensification des exigences administratives, qui mobilisent toujours plus de ressources et nécessitent même l’implication des médecins dans un domaine qui n’est pas le leur?
Il y a aujourd’hui une vraie montée en puissance administrative, surtout du côté des assurances, parfois du canton, qui demandent toujours plus de documentation pour vérifier les montants facturés : rapport médical, utilisation de matériels, durée du séjour, etc., ce qui entraîne aussi une hausse des rejets de factures. À cela s’ajoutent les évolutions tarifaires constantes (Tarmed, futur Tardoc, forfaits ambulatoires, honoraires privés) qui nécessitent à chaque fois des adaptations lourdes. L’exemple d’Asteriks le montre bien. Intégrer ce nouveau système nous a énormément ralenti.
Cette intensification de l’administration est, je trouve, assez phénoménale et je ne suis pas sûr que la médecine en sorte grandie. Elle oblige les hôpitaux à renforcer leurs équipes pour répondre aux contrôles, et ces ressources ne peuvent alors plus être investies ailleurs. C’est une spirale qui pèse sur le système et limite la capacité d’investissement des institutions.
Et ce qui m’étonne le plus c’est l’absence de discussion autour de la qualité ; les discussions sont purement administratives et négligent ce qui pour moi est le cœur du système de santé et sa force. Dans son ouvrage Livre blanc pour une Santé dans le rouge, le docteur Thierry Glauser écrit : « La médecine libérale est en train d’être méthodiquement affaiblie par une combinaison de réformes tarifaires, de déséquilibres structurels entre secteurs public et privé, d’opacité financière, de surcharge administrative et de perte de souveraineté clinique ». Parfois la finance est en accord avec le corps médical!
«Cette intensification de l’administration est, je trouve, assez phénoménale et je ne suis pas sûr que la médecine en sorte grandie. Elle oblige les hôpitaux à renforcer leurs équipes pour répondre aux contrôles, et ces ressources ne peuvent alors plus être investies ailleurs. C’est une spirale qui pèse sur le système et limite la capacité d’investissement des institutions.»
Pierre-Antoine Binard, CFO de l’Hôpital de La Tour, Genève
Comment la situation financière actuelle des hôpitaux influence-t-elle leur capacité à investir et à maintenir la qualité des soins?
La situation financière des hôpitaux est tendue et pèse directement sur leur capacité à investir. Les marges se réduisent alors même que les besoins à former le personnel, renouveler les équipements, intégrer de nouvelles technologies augmente. J’aime citer un chancelier allemand qui dit que les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain. Mais selon PwC, deux tiers à trois quarts des hôpitaux n’atteignent pas le seuil de rentabilité de 10 % d’EBITDA, et beaucoup sont en déficit de fonds propres. Les rapports de la ZKB montrent également l’incapacité chronique des hôpitaux à financer leurs investissements par des cash-flow opérationnels.
Dans le même temps, les contraintes administratives et les baisses tarifaires s’ajoutent à la pression. Les hôpitaux privés, sans accès aux subventions publiques, doivent absorber seuls cette charge, tandis que les établissements publics sont soutenus par l’impôt, souvent de manière peu visible pour le contribuable. Dans ce contexte, chaque franc investi dans l’administration, dans des contrôles ou des réponses aux assurances, est un franc de moins pour améliorer la qualité des soins, former les équipes, maintenir l’excellence médicale. C’est cette branche qu’on risque de scier si rien ne change.
Selon vous, dans quelle mesure les nouvelles technologies et des outils intelligents pourraient-ils transformer le codage et soulager le processus de facturation?
Certainement car elles vont permettre au métier de codage d’évoluer. Grâce à des outils capables de lire et d’interpréter les documents médicaux avec un faible taux d’erreur, une partie des cas simples peut déjà être codée automatiquement. Cela améliorera à terme la qualité et permettra surtout aux codeurs de dégager du temps pour traiter les dossiers complexes, qui exigent un vrai dialogue avec les chirurgiens et des compétences médicales spécifiques. L’IA n’arrive pas en remplacement de l’humain, elle va agir sur la volumétrie pour que l’expertise se concentre là où elle apporte le plus de valeur.
Ensuite, elles permettraient de moderniser en profondeur le circuit administratif entre la demande de prise en charge et le paiement. Aujourd’hui, on est encore à l’âge de pierre : il faut confirmer la prise en charge, la classe d’assurance, la prestation, avec plusieurs parties au contrat – canton, médecin, assurance, patient, établissement – et, une fois le soin délivré, on continue à refaire des contrôles pour s’assurer que l’acte a bien été réalisé. C’est une perte de temps et d’énergie sur du non-médical. Je pense qu’on pourrait trouver des possibilités technologiques pour simplifier tout cela : dès qu’une prestation est acceptée et réalisée, le paiement devrait se faire automatiquement. Des outils comme la blockchain pourraient offrir cette traçabilité et réduire considérablement les coûts administratifs liés à tous ces contrôles pré et post-prestation.
Pour cela une meilleure coopération entre les différents acteurs est nécessaire, pensez-vous que cela soit possible?
Oui, je pense que c’est possible. Un jour, un canton et une assurance verront l’intérêt de lancer un projet pilote, et nous serons très heureux d’y participer. Et si cela aide finalement à diminuer les coûts administratifs de part et d’autre, alors il ne faudra pas hésiter.
Faudrait-il un acteur externe pour vous mettre ensemble ou pour initier ce dialogue?
Je ne crois pas que ce soit indispensable, mais il faut réunir les bonnes personnes autour de la table : un médecin, un patient, une personne du canton, une assurance et un établissement. L’important est d’essayer. Ça ne devrait pas être compliqué à mettre en place et que l’on pourrait vraiment digitaliser finalement le processus administratif lié à l’hospitalisation d’un patient.
On parle beaucoup de Swisscoding pour la partie hospitalière stationnaire, mais il ne faut pas oublier que la volumétrie en ambulatoire est cent fois supérieure. On comprend le potentiel à trouver des solutions pour l’hospitalisation, plus lourde administrativement, mais l’ambulatoire serait aussi un terrain d’innovation. Cela pourrait passer par des acteurs comme la Caisse des médecins, des organismes de paiement d’honoraires comme Asteriks ou VVG+, Medicalculis, ou même un prestataire externe, comme PwC ou ELCA, qui lancerait un concept. Les idées et les partenaires ne manquent pas, il faut juste une volonté commune pour franchir le pas.
Articles associés

«Grâce à ces nouveaux outils, les jeunes codificatrices qui arrivent aujourd’hui ne feront plus du tout le même métier que moi»
Alfred Bollinger a consacré près de 25 ans à structurer et faire évoluer le codage médical en Suisse. Aujourd’hui expert chez Swisscoding, il partage son regard sur les enjeux du secteur, les limites du système actuel et le potentiel de l’intelligence artificielle.

Swisscoding Technologies participe au Challenge KSBL pour améliorer le codage médical grâce à l’IA.
Grâce à notre collaboration avec le Kantonsspital Baselland (KSBL), Swisscoding Technologies prend une longueur d’avance pour soutenir les hôpitaux dans la mise en œuvre du TARDOC dès 2026.